Naoko Seriu, Maitresse de conférences en Histoire Moderne,Tokyo University of Foreign Studies

Photo:Hirō Onoda (小野田 寛郎) Wikipédia (Domaine Public)

Fin 1944, le Japon est en train de perdre la guerre. Hiroo Onoda est alors formé à la guérilla à la section secrète de Futamata de l’école militaire de Nakano avant d’être envoyé sur l’île de Lubang aux Philippines. Lorsque l’armée américaine débarque fn février 1945, il se replie tout comme d’autres soldats dans la jungle. Comme prévu, ils forment un petit groupe pour survivre. Le lieutenant Onoda a sous son commandement trois hommes, le caporal Shimada,et les soldats de première classe Akatsu et Kozuka. Bien longtemps après la capitulation signée début septembre 1945 et malgré les différents appels lancés, ils ne se rendent pas. Onoda ne va fnalement accepter de déposer les armes qu’en mars 1974. De ce soldat nommé Onoda, qui n’a jamais voulu capituler pendant presque trente ans, on a entendu parler non seulement au Japon – où il a été accueilli comme un héros – mais aussi ailleurs dans le monde. Mesurer le degré de célébrité n’est certainement pas aisé, nul doute pourtant qu’il est le plus connu des « soldats japonais résistants (zanryû nipponhei) », à savoir les combattants qui sont demeurés en armes après la capitulation du Japon.

En 1972, le soldat Shôichi Yokoi a été retrouvé sur l’Ile de Guam dans un état de grande faiblesse physique. À son retour au Japon, il est devenu une vedette pour un temps. Mais l’écho suscité par le retour d’Onoda avec son allure martiale a été bien plus important. Attendu et annoncé, le retour d’Onoda a été un événement médiatique majeur.Il a d’abord été traité comme un parfait militaire par les autorités philippines et le président Marcos lui-même, qui lui a accordé la grâce pour pardonner « toutes les violations qu’il aurait pu commettre » à Lubang. Sur toutes les différentes photos, sa posture droite, son salut militaire parfait, son regard vif ont fait forte impression sur le public japonais. Le 12 mars 1974, à son arrivée à l’aéroport de Haneda, la foule s’est bousculée. Sa personne et son aventure ont provoqué un fot de commentaires. Pour beaucoup, Onoda incarnait des valeurs comme la bravoure, la sobriété, la fierté et surtout la fdélité à sa mission. Sa force physique et mentale a été unanimement saluée. Partout,il a pris des bains de foules, reçu des lettres d’admirateurs, est passé à la télévision. Ses mémoires, Ma guerre de Trente ans sur l’île de Lubang, parues en août 1974 sont un best-seller, traduit et publié partout dans le monde.Pourtant, s’il y a bien eu une véritable « mode Onoda » au Japon, des voix discordantes se sont aussi exprimées. Pour une partie de l’opinion, Onoda est victime de la guerre et il n’est pas convenable de le considérer comme un héros.

Onoda remet son sabre au président Ferdinand Marcos lors de sa reddition le 11 mars 1974 (Wikipedia) Domaine Public

L’écrivain, Shôhei Ôoka, ancien soldat et auteur entre autres du Journal d’un prisonnier de guerre ou de Feux dans la plaine souligne la responsabilité de l’État japonais, qu’il s’agisse de la défaillance du plan de sauvetage ou des failles d’une éducation militaire trompeuse. Tout en évoquant le cas d’un autre offcier sorti de Futamata qui est resté sur l’île de Mindoro jusqu’en 1956, il s’interroge sur l’ordre qu’Onoda aurait reçu de « rester sur l’île et exécuter sa mission toujours et à jamais ». L’écrivain Akiyuki Nosaka, l’auteur de La Tombe des lucioles et des Algues d’Amérique, exprime également ses réserves. Selon lui, le malaise qu’Onoda a pu ressentir dans sa propre famille surtout vis-à-vis de ses frères – ils étaient tous de brillants militaires – et de son père aide à comprendre pourquoi il a imaginé sa mission de mener une guérilla jusqu’au bout. Il pense qu’Onoda lui-même n’a pas rédigé seul ses mémoires et regrette de ne trouver aucune mention sur la responsabilité de l’empereur, préoccupation importante pour la jeune génération. En 1977, Noboru Tsuda,journaliste, écrivain-fantôme des mémoires d’Onoda, a écrit Héros de l’illusion pour révéler le processus de fabrication de l’autobiographie d’Onoda. Ancien soldat, il tirait la sonnette d’alarme contre l’utilisation d’Onoda à des fins politiques. Ces débats, importants à rappeler aujourd’hui, permettent d’analyser l’état de l’opinion exprimée dans l’espace médiatique consensuel et contrôlé de l’époque. Comme le résume Nagai Hitoshi, philosophe, très peu d’attention a été portée aux dommages subis par les habitants de l’île de Lubang alors qu’une trentaine de cas d’homicide ont été répertoriés.

L’effervescence médiatique à propos d’Onoda s’est estompée après son départ pour le Brésil en 1975. Il éprouvait lui-même une lassitude et souhaitait avoir plus de liberté. Il revient de nouveau au Japon en 1984, et fondera Onoda Nature School dans le but d’initier les enfants à la survie dans la nature. Selon ses propres paroles, un cas de parricide par un jeune étudiant en 1980 l’avait déterminé à s’engager dans l’éducation de la génération future. Dans les années 2000, Onoda fait parler de lui comme militant d’un mouvement nationaliste, appelant les jeunes à se rendre au temple Yasukuni, sanctuaire établi pour honorer les soldats morts y compris les criminels de guerre. Si le récit de son aventure continue à fasciner le public, après sa mort en 2014, à l’âge de 91 ans, Onoda a été utilisé comme un symbole, admirable aux yeux des conservateurs nationalistes, du Japon qui ne regrette pas son passé colonialiste et guerrier.

Onoda,10000 nuits dans la jungle (2021) – Un film de Arthur Harari

Fin 1944. Le Japon est en train de perdre la guerre. Sur ordre du mystérieux Major Taniguchi, le jeune Hiroo Onoda est envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain. La poignée de soldats qu’il entraîne dans la jungle découvre bientôt la doctrine inconnue qui va les lier à cet homme : la Guerre Secrète. Pour l’Empire, la guerre est sur le point de finir. Pour Onoda, elle s’achèvera 10 000 nuits plus tard.