Contrebande, c’est le titre qu’elle s’est choisie pour son second opus… Cinq ans après O’Ceol, la violoniste Fiona Monbet a bel et bien changé, affirmant plus sa différence de styles qu’une simple virtuosité. Son registre ? Ne pas choisir entre toutes les musiques qui l’animent, composer avec pour élaborer un voyage tout à la fois érudit et sensible, où elle peut aussi bien accoster du côté des rivages du Brésil qu’aborder les terres fertiles de la musique balkanique. « L’idée d’aller d’un style à l’autre, l’air de rien


Teaser #6 – Album CONTREBANDE de Fiona Monbet (2018)


Teaser #8 – Album CONTREBANDE de Fiona Monbet (2018)


Final – Fiona Monbet – Jazz sur Seine 2018


Valse – Fiona Monbet – Jazz sur Seine 2018


Soleil dans les feuilles d’un arbre (comp. Sébastien Giniaux) – Fiona Monbet – Jazz sur Seine 2018

On fait notre marché à nous dans tous les registres. D’où le titre de notre album, un mot qui sonne bien, qui donne un sens aussi. Le cap était de ne pas se bloquer, mais de suivre notre inspiration. On a enchaîné les morceaux, à notre manière. En toute intimité. » D’une frontière à l’autre, cet album vagabonde parmi les gammes pour mieux défier les œillères qui trop souvent contraignent le regard à un seul prisme, et proposer ainsi un horizon aux larges perspectives, en accord avec sa vision du monde de la musique. Du swing ouvert par ici, du tango tendance nuevo par-là, on peut aller sur le terrain de la valse et la country. A chaque fois, cet affleurement ne néglige pas d’aller au fond de l’esprit d’une musique. Esthète mais sans épate, à l’image de Fiona Monbet, qui a mené une carrière en double, pour ne pas écrire plus : entre jazz et classique, puis bien vite à l’écoute des musiques folk irlandaises, du swing manouche, des partitions contemporaines… Et ainsi de suite, et ainsi va la musique pour celle dont le portrait s’affiche en couverture, clin d’œil détourné aux photos anthropométriques, avec des archets en arrière-plan. Mieux qu’une carte de visite, cet album en forme d’autoportrait affirme l’identité composite d’une jeune trentenaire parisienne, bien de son temps, entendez une oreille à l’écoute des aînés, une autre tournée vers le futur à recomposer.

Photo : ©Laura Bonnefous

À ses côtés, elle s’est choisie un trio aux influences tout aussi multiples : le guitariste Antoine Boyer a pour dominante le classique et jazz, le contrebassiste Damien Varaillon, est solidement arrimé au jazz, tandis que l’accordéoniste Pierre Cussac évolue aux frontières des musiques classiques, traditionnelles et improvisées. Somme toute, de quoi cheminer loin si tant est qu’on choisisse de ne pas s’en tenir au plus petit dénominateur commun. Ce fut le pari de ces sessions, laisser percer les univers de chacun, tout en avançant ensemble pour construire un monde, le leur, dont la singularité reste de bout en bout « un attachement à la mélodie, dans son immédiate beauté ». La simplicité du propos, magnifiée par la spontanéité de l’impro, pour celle qui a trouvé sa voie avec le jazz, sans chercher à gommer ses autres influences, bien au contraire. À son diapason, ce trio affine un son de groupe cohérent, un jazz de chambre au fort pouvoir de suggestion. « C’est de la musique chambriste improvisée et acoustique », se risque Fiona Monbet, tout en sachant les limites inhérentes aux définitions qui figent la pensée. Elle préfère laisser respirer la musique, un état d’esprit live and direct qui fut celui des trois jours de session au studio de Meudon : les premières ou deuxièmes prises furent souvent les bonnes, avec très peu de montage par la suite, histoire de garder le souffle des vibrations, comme celui de sa respiration que l’on entend parfois… Comme un petit défaut qui donne un grain particulier – cette humanité faite d’imperfections – à l’enregistrement. Comme une suspension de l’instant présent.

Dans ce voyage au cœur de ses intimes intuitions, tout commence par une Valse, toute simple comme elle dit, « un morceau écrit la veille », qui offre une autre possibilité de swing, teinté d’un rien de classique. Dans la nudité de l’écrit résonne la beauté de l’interprétation. Tout comme Astoria, où l’accordéon et le violon dialoguent en une improvisation dans les règles de l’art, à la manière des pointillistes, avant de recentrer sur le thème, dans toute son évidente élégance. Cet entre-deux, sur bien des tempos, sur bien des formats aussi, du solo au quatuor, c’est aussi toute la classe de Gershwin dont elle emprunte un thème de l’opéra Porgy and Bess, Bess you is my woman now. « Avec une mélodie aussi puissante, il faut amener l’improvisation à prendre un chemin très mélodique, sans se perdre dans la multitude d’accords. Le violon doit sonner au plus proche d’une voix ». Ce n’est pas l’unique reprise du répertoire : Fiona Monbet choisit aussi d’évoquer Luiza, une ballade du boss de la bossa, Antonio Carlos Jobim. « Il s’agit d’une des plus belles mélodies » Cela s’entend tant la qualité de l’écriture du majuscule Brésilien est sublimée dans cette chanson aux faux airs de nostalgie, qui se clôt par l’accordéon qui harmonise, comme en suspension, et rappelle toute la puissance orchestrale contenue dans ce thème.
L’Amérique du Sud est aussi invoquée le temps d’un tango, où l’âme de l’immense Astor Piazzolla plane sur cette partition autrement plus complexe, doubles croches et chausse-trappes rythmiques, mais une sensation toute aussi inscrite dans le registre du sensible. « C’est un thème que j’aimais, malgré la difficulté de l’interprétation ! » Plus libre, pas moins subtile, la ballade dénommée Mélissande se joue elle aussi sur le registre de la mélancolie, les sentiments partagés entre les sonorités des violons et accordéons, une histoire faite de pleins et des déliés, en une promenade qui avance doucement, sûrement, pour au final aboutir sur un climat envoûtant propre aux bandes originales.

C’est plus au nord du continent américain, que s’inscrit A Song, texto « chanson en la », où le grand petit ensemble bascule dans une tonalité très celtique/country, « un morceau qui repose sur l’énergie, une gamme où je me sens très à l’aise. Ça me ressemble bien …» L’Irlande est aussi présente dans le bien nommé Irlandalou, un titre en forme de plaisanterie pour un morceau ternaire, le premier de l’album où la violoniste s’élance dans un solo dans la grande tradition. Et que dire de celui qui fait chavirer Smoly Market, un thème dont l’introduction à l’accordéon n’est pas sans évoquer Bartok, marqué ensuite par l’esprit de fête qui doit son nom à un marché en Bulgarie. Boosté par une rythmique au cordeau, le violon y déploie des fulgurances, sur un sept temps qui file supersonique. Avant de s’arrêter net. Le temps de quelques secondes, avant que ne débute le dernier thème de cet album : L’aveu, ultime pièce dédiée à Didier Lockwood, le mentor de Fiona Monbet parti trop tôt en cet hiver 2018. À partir des dix premières notes d’une vidéo du violoniste sur Nuages, elle improvisa en studio, en solo, pour aller au plus haut, touchant du violon les notes les plus aiguës. Magnifique sommet que cet instant de recueillement ! Comme la plus juste conclusion, histoire de rappeler l’aura de ce maître sans qui elle n’aurait peut-être jamais trouvé les clefs de son originalité. « Mon son a pris une autre ampleur. Mon jeu a changé. »

BIOGRAPHIE

Photo : ©Laura Bonnefous

Fiona Monbet, violoniste franco-irlandaise, naît à Paris en 1989. Elle est diplômée du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, dans la classe d’Alexis Galpérine et Ami Flammer, du centre des musiques de Didier Lockwood (CMDL), et du conservatoire de Lille en direction d’orchestre.Considérée par Didier Lockwood comme sa fille spirituelle, ce dernier l’a présentée sur les plus grandes scènes et festivals, théâtre du Châtelet, théâtre des Champs-Elysées, Olympia, Salle Pleyel, Philharmonie de Paris, Jazz in Marciac, Jazz sous les Pommiers.

Son premier disque O’Ceol (Harmonia Mundi) est une rencontre réussie entre la musique irlandaise et le jazz. Elle sortira son deuxième disque de jazz chez Caroline (division Universal Music), avec l’accordéoniste Pierre Cussac, le guitariste Antoine Boyer et le contrebassiste Damien Varaillon (Sortie le 24 novembre au Café de la Danse).

Sa maitrise de l’improvisation, son ouverture d’esprit et sa polyvalence l’ont amenée à travailler avec le réalisateur Tony Gatlif: Elle participe à la créations des bandes originales de ses trois derniers films (Indignez-Vous, les Indignés, Geronimo) ainsi qu’au spectacle Django Drom (hommage à Django Reinhardt) avec Didier Lockwood, Biréli Lagrène et Stochelo Rosenberg. Fiona s’est également produite en soliste avec l’Orchestre National de Belgique, l’Orchestre Philharmonique de Bucharest et l’Orchestre National d’Île de France.Elle sera en tournée avec son nouveau projet à partir de l’Automne 2018 et tout au long de la saison et pour l’été 2019. Improvisatrice hors-pair, lyrisme à fleur de peau, Fiona Monbet est une musicienne exceptionnelle, extrêmement sincère et émouvante.

Infos : http://backstage-prod.com/fiona-monbet/