Nevché, le slameur de Marseille

Si vous saviez comme le désir est grand, chez Fred Nevché, d’honorer le rêve de gamin du quartier des Olives, de devenir poète. C’est bercé par l’Inter et la Culture de la Maison de la Radio que Fred, entendant ces personnages lointains parler un français parfait, fumait en cachette ses premières cigarettes et ourdissait ses premiers mots. Si Marseille est une somme de villages, Nevché est un agrégat d’influences contradictoires et pourtant cohérentes, entre terreau populaire familial et fantasme des plus grandes plumes, qui font désormais de l’artisan du verbe un façonneur de poèmes.

La poésie ne s’écrit pourtant pas sans la sensation d’exil qui a grandi dès son plus jeune âge, malgré l’aimant invisible qui le cloue au macadam. Les aïeuls quittant, pour les uns l’Espagne franquiste, pour les autres l’Arménie paternelle, lui ont légué un patronyme et l’obligation de s’intégrer. C’est donc pour et grâce aux mots qu’il a pu goûter à l’ailleurs, avec la fac d’Aix-en-Provence pour nouveau bout du monde. Frédéric Nevchehirlian a acheté la paix familiale en obtenant diplôme et statut de professeur de français. Puis les ateliers d’écriture et la musique ont fait leur oeuvre, lui permettant, enfin, de vraiment naviguer à travers frontières et cultures. Fer de lance des premières années du slam en France, il est désormais artiste associé à la Scène Nationale de Marseille, le Merlan, comme pour mieux bousculer la boucle qu’on lui conférait familialement.

L’aventure discographique commence avec Vibrion, son premier groupe, marquée par un album éponyme (prix Printemps de Bourges 2005 et FAIR 2008), puis Monde Nouveau Monde Ancien, premier album en son nom sorti en 2009 (avec notamment la participation de Serge Teyssot-Gay et réalisé par Jean Lamoot), suivi de Le soleil brille pour tout le monde ?, une mise en musique de textes inédits et militants de Prévert en 2011 (confiés par la petite-fille du poète), avant de se nouer en 2014 avec Rétroviseur (écrit en collaboration avec Ronan Chéneau et toujours réalisé par Jean Lamoot). En quelques dix années de ce laboratoire musical, Fred a tracé une route sinueuse et singulière entre rock, slam, electronica et chanson. Avec plus de vingt mille albums vendus et quatre-cents concerts, il démontre, comme ses complices Raphaële Lannadère et Babx qu’on aime aussi dans l’hexagone, une expression exigeante autour du mot.

Alors, pourquoi refaire un disque si l’on n’a rien à dire, s’est demandé Fred Nevché en 2015, largement vidé par le rythme éreintant que ses précédents projets ont exigés. Rien de tel qu’un poème qui gonfle comme un bruit sourd en guise de refuge pour répondre à cette question : Décibel. Écrit entre le Québec, Casablanca et Marseille, en studio mais aussi en marchant, en dansant, mimant le chant des oiseaux, a cappella ou tout juste accompagné d’un synthétiseur, ce poème engendrera le nouvel album de Fred Nevché : VALDEVAQUEROS. C’est le nom d’une plage de sable fin, infinie, d’Andalousie, cerclée par les dunes longeant la « Costa de la Luz », où le vent jamais ne cesse de souffler.Comme en écho, Fred Nevché y déploie, de son timbre si particulier et au gré de ses révolutions intérieures, un amour implacable de la vie.

Faussement mélancoliques, les chansons de ce disque aux arrangements synthétiques et minimaux (Simon Henner / French 79, Martin Mey), abolissent les frontières entre chanson, poésie et longue plage électronique, et ont l’effet rafraîchissant des orages d’été. Conçu comme un ensemble plus vaste au moment de l’écriture, « Valdevaqueros » s’accompagne d’autant de clips que de chansons, et d’un poème visuel (prenant la forme d’un film de 30 min), inspiré du poème fleuve « Décibel », que Fred Nevché a offert à l’écoute en janvier 2018, en prélude à l’album.

Pour voir et écouter plus : http://nevchehirlian.com/

Fred Nevché – Moi je rêve de Johnny souvent

Fred Nevché – Le besoin de la nuit

Nevché – Marseille (Barotti & Kasimir Remix)